Cependant, les pressions exercées tant par Charles Michel, le ministre belge de la Coopération que par Yama Yade, la ministre française en charge des droits de l’homme, s’ajoutant aux lettres pressantes du département d’Etat, ont finalement mené, le 12 mars dernier, à l’acquittement et à la remise en liberté de cet étrange prisonnier, auquel le petit peuple de Bujumbura avait déjà trouvé un surnom, Obama…
Officiellement, Alexis Sinduhije était accusé était d’avoir offensé le chef de l’Etat, en déclarant que « les massacres, les vols, les détournements à grande échelle seront un jour placés sous la responsabilité de celui qui consacre son temps à la prière ». Un affront que le président Ngurunziza n’avait pas pardonné, n’acceptant pas que ce journaliste qui naguère donnait volontiers la parole aux maquisards, ait décidé de franchir le pas et de s’engager en politique. En effet, après avoir été le fondateur et la vedette de la RPA (radio publique africaine), Sinduhije est devenu…candidat à la présidence à la tête de son parti, le MSD (Mouvement pour la solidarité et la démocratie).
Cette formation se veut différente tant de l’ancien parti-Etat, l’Uprona, à prédominance tutsi, que des différents partis dits « hutus », aujourd’hui rivaux et qui se préparent à une lutte sans pitié qui risque de déboucher sur un regain de violence…Le MSD, qui n’a toujours pas été officiellement agréé vise plus loin que les calculs ethniques et les proportionnalités calculées sur des balances d’apothicaire ; il lutte pour un avenir sans corruption, où les promotions se feront sur base du mérite, des compétences, du sens de l’intérêt national…Depuis sa prison, le jugement que portait Sinduhije sur le pouvoir au Burundi était sans appel : « c’est un pouvoir qui tue, qui crée l’insécurité physique, juridique, joue sur les régionalismes, accapare les ressources de l’Etat. Et se voit tout pardonner à l’étranger, au nom d’une soi disant stabilité… »
« Alexis est notre modèle à tous » assure son collègue Antoine Kaburahe, qui après dix années en Belgique est rentré au Burundi pour lancer un journal indépendant, Iwacu. « Comme lui, nous voulons privilégier l’enquête de terrain (trois jours à Kirundo pour décrire comment se reconstituent des milices…), le journalisme d’investigation, dénoncer les abus de pouvoir, la corruption…
Issu d’une modeste famille de Kamenge (un quartier populaire de Bujumbura) Alexis Sinduhije s’est très tôt lancé dans le journalisme puis a été invité à Harvard et, avec le montant d’un prix décerné par la Fondation Ford, il a créé la Radio publique africaine. Alors que le Burundi traversait une décennie de violence qui fit plus de 300.000 morts, Sinduhije et les reporters de choc de son équipe frappèrent tous azimuts : l’ »affaire Kassi Malan », ce représentant à Bujumbura de l’Organisation Mondiale de la santé assassiné dans son bureau, c’est eux. Eux aussi, la dénonciation du massacre de Muyinga l’an dernier, la révélation de la mise en vente de l’avion présidentiel, le détricotage du « faux coup d’Etat », un pur montage, la révélation d’affaires de corruption dans lequelles trempa l’ancien président Ndayizeye, la mise à l’écart de Radjabu, le président du parti au pouvoir, qui est lui, toujours détenu dans le quartier des élites de la prison de M’Pinga…
« Il nous a donné le goût du vrai journalisme » dit Antoine Kaburahe, « des générations de jeunes rêvent de prendre exemple sur lui, s’inspirent de son courage, de son audace. » De son désintéressement aussi : «comment faire pression sur un homme qui se passe de voiture, de maison, qui se moque de l’argent, car sa passion s’est la justice, la démocratisation des institutions… Un homme qui ne bronche pas lorsque son gardien est tué, que sa famille est menacée et envoyée hors du pays…»Ayant retrouvé la liberté, Alexis Sinduhinje persiste et signe, il sera bien candidat aux prochaines élections présidentielles…
Source : le carnet de Colette Braeckman - le soir.be - le 18/03/2009
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